• Coup bas... Blablabla... Esquive... Blablabla... Talon... Blablabla...

    Cela faisait plusieurs heures que la jeune draken écoutait son professeur lui enseigner l'art du combat. A vrai dire, elle entendait plus qu'elle ne portait attention à ce qu'on lui racontait. La joue écrasée sur le dos de sa main, elle ne cherchait pas à dissimuler l'air las qu'affichait son visage depuis un certain temps, bien au contraire : elle avait osé espérer que cela suffirait à dissuader son maître de cesser tout cela mais non... C'était qu'il était tenace celui-là.

    - ... Tu m'écoutes Wyr ?
    - Oui p'pa.

    Papa. C'était bien pour cela qu'il ne lâchait pas l'affaire : son professeur était également et avant tout son père, un patriarche et guerrier du Dominion réputé pour sa fidélité, son honneur et... sa patience, pour le plus grand désespoir de la dénommée Wyr. Pour être honnête, elle n'était pas tout à fait contre ces leçons : apprendre à se battre et par la même occasion à se défendre était quelque chose d'utile, elle ne pouvait le nier. Mais pourquoi devait-elle subir la théorie ? Tout ceci était à mettre en pratique ! Elle n'avait pas envie d'examiner les types d'armes existants sur papier, elle voulait les voir, les toucher, les manier ! Son père lui avait expliqué qu'elle était encore trop jeune pour cela et qu'un jour, elle aurait la possibilité de mettre son apprentissage en application. Sauf que c'était trop long pour elle. Elle avait dix ans et ses cornes étaient déjà plus longues que la moyenne, pourquoi fallait-il qu'elle attende encore ? 

    Elle ne put s'empêcher de lâcher un petit soupir. Celui-là, son père le connaissait trop bien.

    - Okay, tu as gagné Wyr. Ce sera tout pour aujourd'hui.

    C'est avec peine qu'elle parvint à camoufler une joie mêlée à une certaine fierté. Sa simple façon de se mettre debout, si vivement, en manquant de renverser la petite table devant laquelle elle était assise, suffit malgré tout à trahir ses sentiments. Il était difficile pour elle de rester en place pendant quelques heures : elle ignorait si elle héritait cela de sa race ou simplement de son père mais il fallait absolument qu'elle bouge, qu'elle ait quelque chose d'actif à faire de ses journées, sans quoi elle s'ennuyait et se fatiguait relativement vite. 

    A peine libérée, la créature aux airs reptiliens fila donc tout droit dehors. Le chaud, déjà bien écrasant sous l'abri de toile dans lequel ils s'étaient installés pour les leçons, se fit davantage insistant. Toutefois, Wyr s'en fichait : c'était un climat auquel elle était habituée depuis sa naissance et qui ne la dérangeait guère. Elle savait que d'autres espèces n'y survivraient peut-être pas et elle comprenait ainsi pourquoi il était fort improbable qu'une civilisation extérieure vienne les envahir et habiter ces terres, comme lui avait indiqué son père. Quelque part, cela faisait des drakens une des races les plus puissantes de l'univers, non ? C'était tout de moins ce que Wyr se plaisait à croire.

    Comme à son habitude, la jeune créature à la peau violacée s'éloigna du village auquel elle appartenait et traversa une longue étendue de terres arides. Le paysage totalement dénué de repères, il aurait été facile de croire que Wyr courait tout droit vers l'inconnu. Cependant, elle foulait ce sol depuis sa plus tendre enfance et en connaissait donc le moindre petit caillou ou brin d'herbe. Elle s'apprêtait à rejoindre un lieu qui lui plaisait particulièrement : une falaise - qui n'était en réalité autre qu'un grand rocher.

    D'une manière tout à fait habile et qui laissait penser qu'elle n'en était pas à son coup d'essai, Wyr grimpa au sommet de la grosse rocaille verticale sans problème. Elle avait à plusieurs reprises embrassé le sol poussiéreux par le passé mais elle avait persisté et était finalement parvenue à atteindre son objectif. Aujourd'hui, elle voyait plus grand, vraiment plus grand.

    Elle s'assit là, au bord de sa "falaise" comme elle se plaisait à l'appeler et leva les yeux vers le ciel. Le soleil aurait pu lui brûler les yeux si elle n'y était pas habituée mais il n'en fit rien ; toutefois, ce n'était pas cette grosse astre qui l'intéressait mais qui ce qu'il y avait plus loin, derrière. Depuis là, ce n'était qu'une toute petite planète insignifiante, un rien dans l'univers... Dans son cœur et sa tête, c'était un projet d'avenir.

    Elle finirait par quitter Mikros pour découvrir ce qu'il y avait au-delà, elle s'en était fait la promesse.


  • Des années s'étaient fatalement écoulées. Wyr avait fini par accéder à la cour des grands, laissant derrière elle ses projets d'exploration devenus si abstraits. Le rêve persistait dans un coin de sa tête et parfois, elle se surprenait à y penser, à y croire. Toutefois, elle savait que les chances d'atteindre son objectif étaient minimes ; la cause de cela ? Son père.

    Même si elle devait encore supporter quelques apprentissages théoriques, la majeure partie de son temps était réservée à des entraînements draconiens qui la vidaient de son énergie. Elle qui autrefois appréciait, en fin de journée, se rendre sur son petit caillou - puisqu'il était devenu ridicule à ses yeux - ne trouvait même plus le courage et la force de faire le chemin pour. Le soir, elle rentrait chez elle couverte d'hématomes et passait bien une demi-heure à tenter de canaliser sa douleur. Elle en venait parfois à regretter d'avoir été si impatiente, plus jeune : les armes, elle les touchait, pour sûr... Quand ce n'était pas l'inverse. Le côté fascinant du combat s'était estompé pour laisser place à une toute autre réalité : la violence.

    Prendre des coups et en donner ne serait pas si difficile si son père ne s'acharnait pas sur elle à ce point. A chaque fois qu'elle faisait un pas de travers, qu'elle ne se défendait pas comme il fallait ou qu'elle ne voyait pas une opportunité de foncer, elle avait le droit à de puissantes remontrances. Il tenait à ce que sa fille, à la fois sa seule descendance et ainsi future représentante de la lignée, soit parfaite. Plus vite elle apprendrait, plus rapidement elle rejoindrait les rangs du Dominion qui, mine de rien, avaient soif de chair fraîche. Car oui, Wyr n'avait pas son mot à dire dans l'histoire : son destin était tout tracé et elle serait contrainte d'œuvrer pour la gloire de sa faction.

    Elle ne pouvait nier que l'histoire du Dominion était intéressante. En réalité, elle était attentive à tout ce qui s'approchait de près ou de loin à d'autres horizons : de quelles planètes venaient les espèces qui composaient les deux factions, comment les voyages intergalactiques s'organisaient-ils... Mais ce qui l'intriguait par dessus tout, c'était Nexus. Elle voulait toujours en savoir davantage sur ces terres qui regorgeaient de mystères et de technologies particulièrement avancées. Quelque part, c'était peut-être cela qui lui faisait tenir le choc face à l'éducation drastique qu'elle subissait : au bout du compte, son rêve allait peut-être pouvoir se réaliser si elle venait à embarquer pour Nexus dans le cadre d'une mission de faction...


  • Réputée pour son calme, Wyr avait attiré une foule de drakens surpris par sa rage. Bon nombre des siens étaient venus assister à son entraînement ce jour-là : c'était la première fois que son père, le patriarche respecté de leur clan, avait plié le genou face à sa fille. L'épée de Wyr avait d'abord frôlé les côtes de son géniteur avant de danser et de venir s'écraser sur une de ses cornes. Déséquilibré, Awrakel avait épousé aussi violemment que rapidement le sol poussiéreux. Les muscles saillants, les veines gonflées, un rictus sauvage tordant son visage, tout chez la jeune draken transpirait la haine. Nul doute qu'un événement avait du la chambouler et c'était effectivement le cas.

    Son unique moyen de réaliser son rêve de toujours avait été réduit à néant en une seule phrase : "tu resteras sur Mikros pour veiller au bien de ton peuple et à la formation des jeunes drakens." C'était donc ça sa place au sein du Dominion ? Prêcher les bonnes paroles de sa faction en veillant à ce que rien ne vienne menacer la vie des habitants de sa planète - ce qui était déjà peu probable ? Si elle avait enduré toutes ces années d'apprentissage et d'entraînement, ce n'était certainement pas pour finir comme ça et elle comptait bien le faire comprendre !

    Awrakel, face contre terre, n'avait pas encore tenté de se relever que sa fille était venue en rajouter une couche : il sentit son pied se poser sur sa colonne vertébrale. Pour sûr que si elle le voulait, elle pourrait la lui briser. Ignorant tout des projets de sa fille, il ne parvenait pas à expliquer cette attitude si soudaine ; c'est pourquoi il leva les mains en signe de défaite. Il fallait qu'il comprenne avant de tenter quoi que ce soit, d'autant plus qu'il se trouvait présentement en situation de faiblesse.

    Il la questionna le soir même, alors que le calme était à peu près revenu. Toutefois, pour Wyr, c'était comme mettre le feu aux poudres : de nouveau, elle plongea dans une colère sans nom et un nouveau combat manqua d'être engagé. Pour la première fois de sa vie, la jeune draken déballa tout : ce qu'elle ressentait vis à vis du Dominion, ce qu'elle souhaitait devenir et qui était loin de ressembler à ce que lui réservait son père. Ce fut au tour de ce dernier de laisser la rage l'emporter : qu'avait-il fait pour que sa fille refuse de suivre sa voie ? Et comment pouvait-elle à ce point être indifférente par rapport au Dominion ? Il refusa catégoriquement de la laisser poursuivre un projet qui ne la mènerait à rien, si ce n'était qu'à errer de terres en terres, sans but précis : ce soir là, le foyer qui abritait les Esprithardi subit un carnage et le mobilier allait s'en souvenir. Du simple pot de fleurs sauvages à la table, tout ce qui pouvait voler et servir d'arme était passé entre les mains des deux créatures reptiliennes. Malheureusement, ce fut Awrakel qui gagna à ce jeu : il avait de l'expérience et même si Wyr possédait au moins sa force si ce n'était plus, elle n'était pas aussi endurante que lui ; la rage qui l'habitait n'était que passagère. Elle sombra alors dans l'inconscience après avoir reçu une pauvre chaise innocente en plein ventre, la violence du coup la propulsant contre le mur...  

    Lorsqu'elle se réveilla, il fut impossible pour elle de déterminer depuis combien de temps elle sommeillait. Toutefois, elle était sûre d'une chose : on l'avait déplacée. Elle mit plusieurs minutes à reconnaître la salle où son père lui avait appris tout ce qu'elle savait désormais. A chaque entrée et fenêtre, des drakens aux allures de garde se tenaient immobiles, une grande lance dans les mains. Était-elle vraiment... Placée sous surveillance ? Wyr réalisa alors après coup qu'elle avait fait une grosse erreur : elle avait avoué à son père son désir de quitter Mikros. Évidemment, Awrakel ne la laisserait jamais trouver un moyen de partir. Un sourire discret se dessina sur son visage.

    S'il avait engagé des sentinelles pour la surveiller, c'était justement parce qu'il y avait un moyen de quitter Mikros.


  • Très bien bâtis physiquement mais bêtes comme leurs pieds, Wyr parvint à convaincre les gardes de la laisser sortir, prétextant une envie pressante. L’un d’eux l’accompagna – alors qu’Awrakel avait bien insisté sur le fait de toujours être en supériorité numérique avec elle. Elle s’enferma à clé, observa tout autour d’elle afin de trouver une issue : il n’y avait pas de fenêtres, simplement un espace ouvert, au dessus, par lequel elle pourrait passer pour s’enfuir. Une seule chose la tracassait : le bruit. Si le garde n’entendait rien d’autre que des sons évoquant le mouvement, il allait probablement se poser des questions. Finalement, elle opta pour la solution « draken » : après s’être mise dans les meilleures conditions possibles – qui consistait à profiter, tout de même, des toilettes pour vider sa vessie –, la jeune créature ouvrit la porte. Presque immédiatement, alors que le garde tournait la tête pour l’avoir dans son champ de vision, Wyr lui asséna un énorme coup de boule et s’assura de sa réussite en l’achevant avec ses cornes. Elle laissa le garde choir à même le sol et ne tarda pas à se jeter en dehors des sanitaires pour rejoindre la sortie – dont elle ne connaissait que trop bien l’emplacement.

    Elle faillit rire du fait qu’aucun garde n’était posté autour du bâtiment : ils s’étaient contentés de rester dans la salle où elle avait été enfermée. Elle ne sut expliquer pourquoi mais elle se sentit obligée de passer devant les vitres de la pièce : elle tira la langue avec provocation, telle une enfant désobéissante, et acheva de les mettre en rogne en leur adressant un très beau geste injurieux des deux mains. Elle vit distinctement certains drakens se jeter hors de la pièce tandis que d’autres continuaient à cligner bêtement des yeux, hébétés.

    Vive et habituée aux terrains escarpés, Wyr quitta définitivement son village sans se retourner. S’il y avait un moyen de quitter Mikros, elle le trouverait probablement dans le plus grand territoire de la planète, où vivait le haut patriarche des drakens.

    Il s’avérait que plusieurs vaisseaux chua, hautement surveillés par ses comparses d’espèce, étaient justement arrêtés là. On en déchargeait d’énormes boîtes rectangulaires qui contenaient probablement des armes diverses et variées. Wyr n’avait jamais vu de chuas de ses propres yeux : ces créatures étaient vraiment très petites et semblaient aussi perverses qu’on le lui avait raconté ! Mais peu importait, elle ne laisserait pas l’opportunité lui filer entre les doigts : attendant le moment propice, la jeune draken se glissa derrière une ligne de cargos, se faufila entre les paquets, s’accrocha à la plateforme qui menait au vaisseau et s’y glissa tandis que chuas et drakens, en contrebas, se dévisageaient. Manque de bol, elle croisa un petit groupement de rongeurs. Presque immédiatement, elle prit une posture beaucoup plus confiante et fit mine d’aller récupérer une boîte, située sur sa gauche. Les petites créatures ne la regardèrent qu’un instant et s’éloignèrent pour descendre sur terre ferme. Wyr s’enfonça dans le vaisseau et chercha un lieu dans lequel se cacher : elle trouva une accès au plafond, parvint à l’ouvrir sans trop de problèmes – le vaisseau était conçu pour des chuas, pas des drakens – et s’y glissa tant bien que mal. Il s’agissait d’une sorte de caisson sécurisé dans lequel pouvait aisément se déplacer un rongeur. Wyr pouvait seulement s’y allonger pour pouvoir passer en hauteur mais ce n’était pas ce qui la gênait le plus : à vrai dire, les explosifs qui l’entouraient avaient quelque chose de bien plus intimidant.

    Wyr ne sut pas dire combien de temps s’était écoulé depuis qu’elle s’était glissée dans sa cachette. Elle était en train de s’assoupir lorsque le vrombissement et les tremblements du vaisseau qui démarrait, amplifiés par la forme et la sonorité du caisson, la firent sursauter, sa tête heurtant douloureusement le plafond sous le mouvement. Néanmoins, elle s’y habitua et finit même par s’endormir... La tête posée sur un paquet d’explosifs.


  • C’est une douleur vive au niveau de l’arrière-train qui la sortit violemment de son sommeil. Il  lui sembla même que le sol se dérobait sous ses pieds... Et en réalité, c’était vraiment le cas : tirée vers le bas par elle ne savait quelle force, elle perdit un étage et s’écroula sur la plateforme métallique du vaisseau. Le temps de reprendre ses esprits et Wyr réalisa qu’elle était entourée par plusieurs chuas qui la dévisageaient d’un air presque malsain.

    - Qu’est-ce que ça fait là ?
    - Un cobaye gratuit pour chua !
    - Croyez que cornes se vendent bien ?

    Par réflexe, Wyr vérifia qu’elle était encore intacte : elle remarqua simplement que sa queue était attachée par une épaisse corde – d’où la douleur à l’arrière-train. C’était sûrement de cette manière qu’ils étaient parvenus à la sortir de sa cachette... Un chua à la fourrure beige-grisâtre s’adressa alors à elle.

    - Qu’est-ce que toi, draken, tu fais ici ?

    Wyr nota laconiquement que la voix était féminine et marquée par un brin de vieillesse. Pourtant, l’apparence de la petite chose aux grandes oreilles ne donnait pas grande information quant à son genre.

    - Je veux aller sur Nexus, répondit-elle d’une voix qui se voulait assurée mais qui ne le fut pas tant que ça.

    La chua qui avait posé la question esquissa un étrange sourire qui, pour la grande cornue, ne signifiait rien de bon. Ses yeux s’illuminèrent d’intérêt à peine dissimulé. Le petit rongeur fit signe à ses compères de retourner vaquer à leurs occupations tandis qu’elle se penchait vers son visage pour planter ses grands yeux grisâtres dans les iris orangées de Wyr.

    - Tu pourras peut-être atteindre Nexus... Si tu es suffisamment intéressante pour obéir à Ori.





    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique